mardi 8 octobre 2013

EPITAPHE LUNATIQUE

EPITAPHE LUNATIQUE



 Le tumulte et l’agitation s’entrechoquaient près de la salle des ventes parisiennes. Drouot était en effervescence, les colporteurs s’activaient et déjà on distribuait à l’entrée le programme des ventes de ce mercredi  1920.
Une foule pressante et quelques curieux s’aventuraient dans l’avant-salle pour contempler les quelques bibelots, épars et rangés de manière parfois confuses, qui surplombaient les étagères et les panières.
Des coffres en merisier, des chaises Louis seize et des bronzes datant de la Restauration se mélangeaient dans un décor et un amas d’objet hétéroclites.
Les questions fusaient, et l’assistante du commissaire-priseur ne pouvait que se féliciter du succès futur de l’après-midi.
Toutes les places étaient occupées et certains avaient même appelé l’avant-veille pour réserver leur siège ou leur banquette de velours.
L’horloge du hall d’entrée sonna 15h00, il était temps de faire les premières ventes.

La salle Drouot était un peu étroite, on y accédait par deux entrées secondaires sur les bas-côtés et une entrée principale. Une porte cochère était à demie-cachée près de l’entrée pour permettre la livraison des objets les plus fragiles. Un lustre en cristal surplombait l’entrée, mais la salle n’était que peu éclairée. Une mince lanterne répandait son halo sur le bureau de l’assistante qui se pressait parmi les badauds pour accéder à son siège.
Les premiers rangs étaient occupés par des hommes riches ou des amis de  particulier, chargé d’enchérir au moment opportun.
Les seconds rangs étaient quant à eux occupé par la haute bourgeoisie, qui s’était mis en habit pour l’occasion et qui de fait semblait un peu engoncé dans leurs costumes et leurs corsets à la mode.
Enfin, le fond était ouvert aux gens du peuple, et on y voyait parfois quelques étrangers de passage qui s’arrêtait plus par curiosité que par désir d’acquérir un bien.
Le silence se fit soudain, le commissaire-priseur, vêtu d’une Jacquette un peu désuète s’avançait gravement dans l’allée principale.
Le marteau en bois de hêtre était déjà dans sa main noueuse, prêt à s’abattre et à rendre son jugement.

C’est alors que la porte cochère s’ouvrit et un vent frais et automnale entra dans la salle, quelques personnes frissonnèrent et d’autres éternuèrent discrètement.
La personne qui venait d’entrer était une femme d’une quarantaine d’années, imposante, qui dégageait une sorte d’aura presque magnétique. Elle était vêtue d’une robe émeraude et d’une fourrure un peu dépassée.  Un charme indéniable la suivait et la dame fit grande impression sur l’assistance.  
On l’installa au premier rang avec un soin tout particulier pour qu’elle vit bien le maitre de cérémonie. Ses yeux étaient fardés de noir et elle fixait l’assemblée d’un regard inquisiteur. 
Cependant, ses mains nouées se dénouaient tremblantes,  et elle paraissait anxieuse malgré son apparence.

Le commissaire-priseur un peu troublé par cette interruption se racla la gorge et la salle redevint calme, après avoir été sujette à un brouhaha interrogateur.
Les lots commencèrent à défiler et les mains se levèrent, certains acheteurs attendaient la bonne occasion et ne manquaient pas de sauter sur l’opportunité de leurs rêves.
Quelques bibelots des années 1800 arrivaient aux comptes-gouttes et les miroirs en ambre s’arrachaient comme des petits pains.
Le ton vint à monter lorsque l’on apporta un lit en bois de palissandre, merveille visuelle mais qui semblait un peu inconfortable. 
La mystérieuse dame à cet instant eu un mouvement de recul et hésita à lever la main, mais un regard vers le maitre des lieux l’en dissuada et elle retourna dans sa rêverie trompeuse.

Un petit coursier d’à peine dix ans la remarqua mais ne pipa mot, il devait être attentif à la vente car son client était sur une grosse affaire.
Le lot suivant était composé de bijoux anciens, de bronze d’Italie et d’une étoffe anglaise de qualité douteuse. Les enchères grimpèrent et le commissaire-priseur ne savait comment gérer les demandes de cette foule presque enragée qui criaient leurs enchères.
Enfin,  des lots moins intéressants arrivèrent et le maitre des lieux put savourer son répit. Mais ce dernier fut de courte durée, car déjà on annonçait les objets exotiques, dont certains avaient fait sensation lors de l’exposition universelle.
On vociférait en chœur pour se procurer un masque africain ou une jarre péruvienne, et que dire des morceaux du temple d’Ankhor, véritable trésor archéologique promis à une vie de salon ? 

La dame commençait à se lasser et elle fit mine de partir, mais un lot retins son attention. Il s’agissait d’une corbeille remplis de photos éparses, de mauvais tirages pour certaines. 
Prise d’un accès de folie, elle se leva et dans une plainte déchirante cria : «  je prend je rachète tous ça, ce que vous vendez là, c’est mon passé à moi » . Car venait de surgir, du fond de sa mémoire, un visage oublié, une image chéri du fond de sa mémoire, son seul amour de femme peut etre.
 Elle était là figé, superbe et déchirante mais personne ne l’entendit . 
Malheureuse ! Tous se passe si vite dans la salle des ventes, tous se passa si vite qu’on ne l’entendit pas.

Hagarde elle sortie de la salle des ventes, serrant dans ses doigts nus quelques billets . Elle pleurait son passé, à jamais disparu.

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